Liberté fondamentale Les propos tenus sur les réseaux sociaux ont-ils un caractère privé ou public ?

, par Christelle MARTIN

Ces dernières années, nous avons été les témoins d’une augmentation assez considérable du nombre de réseaux sociaux, tels Facebook, Twitter, Viadeo, LinkedIn, Myspace, pour ne citer qu’eux, mais aussi de leur utilisation. Touchant à l’origine principalement les jeunes, ils ont séduit au fur et à mesure un public plus large. Ces réseaux ont pour finalité première de regrouper des amis de la vie réelle, voire d’élargir son cercle d’amis, tout en permettant l’échange d’informations, comme des commentaires ou des photos. C’est alors que l’on entrevoit un possible chevauchement entre activité professionnelle et vie privée.

Par un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1e, 10 avril 2013, n° 10-19530), les Hauts magistrats viennent de tracer une ébauche de frontière entre caractère public et caractère privé des propos tenus sur les réseaux Facebook et MSN. En l’espèce, peu avant son licenciement, une salariée avait publié sur les réseaux Facebook et MSN des propos injurieux à l’encontre de sa hiérarchie, et plus particulièrement à l’encontre de la gérante en se prononçant, notamment, pour l’« extermination des directrices chieuses » (Facebook), ou en indiquant sur MSN : « Sarko devrait voter une loi pour exterminer les directrices chieuses comme la mienne !!! »

La société et la gérante ont alors assigné l’ancienne salariée en paiement de dommages et intérêts pour avoir publié sur divers réseaux sociaux accessibles sur Internet des propos qu’elles qualifiaient d’injures publiques, délit prévu et réprimé par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Le tribunal de grande ins-tance de Meaux, dans un jugement rendu en date du 1er octobre 2009, a refusé de reconnaître le caractère public des propos litigieux. La société ainsi que la gérante ont formé appel à l’encontre de cette décision, mais ont été à nouveau déboutées de toutes leurs demandes.

Au soutien de son arrêt de rejet (CA Paris, Pôle 2 - ch. 7, 9 mars 2011, n° 09/21478), la cour d’appel de Paris a retenu que, s’agissant de Facebook, « seuls les amis du titulaire du compte dûment acceptés par lui peuvent librement avoir accès aux données et informations qui y figurent », et s’agissant du réseau MSN, que le groupe auquel la salariée avait adhéré était « un groupe secret, n’apparaissant pas dans le profil ; que la circulation de l’information était limitée aux seules personnes agréées ».

Les juges ont alors considéré que ces membres choisis par la salariée, en nombre restreint, pouvant avoir accès aux propos litigieux, formaient une communauté d’intérêts, ce qui, par conséquent, excluait la qualification de « public ». L’affaire a ainsi été portée devant la Cour de cassation sur pourvoi de la société et de la gérante.

La Haute juridiction a approuvé l’arrêt de la cour d’appel et a déclaré irrecevable l’action fondée sur la notion d’injures publiques, au motif que « tant sur le site Facebook que sur le site MSN, lesquels n’étaient en l’espèce accessibles qu’aux seules personnes agréées par l’intéressée, en nombre très restreint [...], que celles-ci formaient une communauté d’intérêts », et que, ce faisant, les propos de la salariée « ne constituaient pas des injures publiques ».

En d’autres termes, dès lors que les informations ou propos ne sont accessibles qu’à un nombre limité de personnes, choisies et acceptées par le titulaire du compte, ils ne peuvent être considérés comme publics. Ainsi, le caractère public ou privé de publications faites par le titulaire d’un compte dépendra des paramètres retenus par ce dernier. Par exemple, sur Facebook, si le caractère privé peut être facilement admis pour des publications accessibles aux amis seulement, qu’en serait-il si le paramétrage du compte permettait aux amis des amis d’y avoir également accès ? Par ailleurs, il faudra également tenir compte de la taille du groupe. La décision de la Cour de cassation n’aurait sans doute pas été la même si le groupe avait été constitué de plusieurs centaines de personnes.

Toutefois, il convient ici de préciser que la première chambre civile a partiellement cassé l’arrêt de la cour d’appel de Paris en ce qu’elle ne s’est pas prononcée sur une des demandes de la gérante. En effet, cette dernière avait demandé, à titre subsidiaire, la qualification d’injures non publiques des propos litigieux, or la juridiction d’appel s’est contentée de rejeter le caractère public. Il faudra donc attendre la décision de la cour d’appel de renvoi pour savoir si de tels propos privés peuvent être pénalement sanctionnés.

Enfin, cet arrêt ne traite que de la question de l’injure publique et non des répercussions sur le contrat de travail (puisque la salariée était déjà licenciée). À cet égard, un certain nombre de juridictions du fond (conseils de prud’hommes, cours d’appel) ont déjà eu à se prononcer sur des licenciements disciplinaires liés à des dénigrements de la hiérarchie sur Facebook.

Abus de la liberté d’expression ? Glissement de la vie privée vers la sphère publique ? La prudence impose de s’assurer de la confidentialité des échanges sur les réseaux sociaux*.

* Une étude dans un prochain InFOjuridiques portera plus largement sur l’utilisation des réseaux sociaux.