Discriminations L’égalité en question

, par Christelle MARTIN

Le long cheminement en matière d’égalité professionnelle n’est pas inutile à retracer d’autant que les lois la concernant se sont succédé au fil des années sans pour autant donner tous les résultats escomptés. Sans reprendre l’historique des droits des femmes, il suffit de cibler la période 1972-2012 pour comprendre que, malgré la multiplication des textes, l’égalité dans le domaine professionnel est loin d’être acquise.

Retour sur quelques dates clés :

1972 : Le principe est posé de l’égalité de rémunération pour un même travail ou un travail de valeur égale (loi n°72-1143 du 22 décembre 1972 relative à l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes).

1975 : Il est dorénavant interdit de rédiger une offre d’emploi réservée à un sexe, de refuser une embauche ou de licencier en fonction du sexe (loi n°75-624 du 11 juillet 1975 réprimant les discriminations en raison du sexe).

1983 : La « loi Roudy » (n°83-635 du 13 juillet 1983) pose le principe de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes dans tout le champ professionnel (recrutement, rémunération, promotion ou formation). La loi oblige également les entreprises à produire un rapport annuel sur la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise.

2001 : La « loi Génisson » (loi n°2001-397 du 9 mai 2001) actualise et renforce la loi de 1983 en définissant les axes de sa mise en œuvre. Une obligation de négocier sur l’égalité professionnelle au niveau de l’entreprise et au niveau des branches est créée.

2004 : Un accord national interprofessionnel relatif à la mixité et à l’égalité professionnelle est signé.

2006 : La loi n°2006-340 du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, issue de l’ANI de 2004, impose des négociations, tant au niveau de la branche que de l’entreprise ; les écarts de rémunération devront avoir disparu au 31 décembre 2010 !

2010 : La loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites supprime la date butoir du 31 décembre 2010 pour la suppression des écarts de rémunération (évidemment, il ne restait plus qu’un mois !). Désormais, plus aucun délai n’est fixé ! Cependant, cette loi ajoute aux obligations de négocier déjà existantes une obligation de conclure avant janvier 2012 un accord collectif (ou d’établir un plan d’action) destiné à assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Elle introduit une pénalité financière pouvant aller jusqu’à 1% de la masse salariale.

2011 : Le décret d’application du 7 juillet et la circulaire du 28 octobre 2011 mettent tout en œuvre pour que cette pénalité ne soit pas appliquée ! En effet, la sanction n’est pas immédiate et l’inspecteur du travail qui constate l’absence d’accord ou de plan d’action doit d’abord mettre en demeure l’entreprise de se mettre en conformité, et ce, dans un délai de 6 mois. À l’issue de ce délai, si l’entreprise n’a rien fait, elle peut être sanctionnée… ou pas ! En effet, l’inspecteur du travail devra alors informer le Direccte (Directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi).

C’est lui qui prendra la décision d’appliquer ou non la pénalité (il peut, par exemple, ne pas l’appliquer si l’entreprise fait état de difficultés économiques), et d’en fixer le taux pour la « proportionner » aux manquements constatés. En tout état de cause, la pénalité ne sera jamais rétroactive et ne s’appliquera – dans les rares cas où elle s’appliquera – qu’à compter de la notification de la sanction. De quoi laisser rêveur sur l’effectivité d’une telle mesure…

Heureusement, le combat pour l’égalité continue au-delà de la simple multiplication des textes. Il passe souvent par des contentieux individuels devant les prud’hommes, qui visent à sanctionner soit la violation de principe d’égalité de traitement (et notamment de la règle « À travail égal, salaire égal »), soit la violation du principe de non-discrimination. En effet, si d’un point de vue juridique, discrimination et égalité de traitement sont deux notions distinctes, qu’il ne faut pas confondre (voir ci-dessous), s’agissant de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, les tribunaux peuvent jouer sur tous les tableaux, en d’autres termes combiner les différentes règles juridiques.

Le principe « À travail égal, salaire égal » est bien connu. D’origine jurisprudentielle (Cass. soc., 29 octobre 1996, n°92-43680 – Arrêt Ponsolle*), ce principe est désormais cité dans la loi (article L. 2261-22 du Code du travail sur les conditions d’extension des accords de branche) et il oblige l’employeur à assurer une égalité de rémunération entre tous les salariés placés dans une « situation identique », sauf raisons objectives et pertinentes justifiant une différence de traitement. À noter qu’il s’agit d’un principe d’égalité non seulement entre les hommes et les femmes, mais aussi d’égalité femmes-femmes ou hommes-hommes. Cette obligation se combine avec le principe spécifique de l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes (art L. 3221-2 du Code du travail) mais aussi avec l’interdiction des discriminations (article L. 1132-1 du Code du travail).

La question de la charge de la preuve est également importante. En cas de contentieux, le régime de la preuve en matière d’inégalité de rémunération est identique à celui applicable en matière de discrimination. En premier lieu, la salariée qui invoque une atteinte soit au principe « à travail égal, salaire égal », soit au principe de non-discrimination en raison du sexe doit soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de caractériser soit une inégalité de rémunération, soit une discrimination. Il incombe ensuite à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments « objectifs et pertinents » justifiant la différence de traitement (ex : Cass. soc, 4 février 2009, n°07-41406), soit, s’agissant des textes relatifs à la discrimination, de « prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination » (art. L. 1134-1 du Code du travail).

Un contentieux abondant existe tant en matière d’égalité de traitement que de discrimination, la Cour de cassation se montrant très vigilante sur ces principes. Bien du chemin reste à parcourir, surtout quand on sait, selon les chiffres officiels**, que les salaires des femmes restent inférieurs de 27% à ceux des hommes, et que la France est ainsi située au quarante-huitième rang mondial en matière d’égalité ! Un rapport d’information du 7 février 2012 fait au nom de la Délégation aux droits des femmes en fait le triste constat et émet sept recommandations pour favoriser l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, le tout doublé d’une nouvelle proposition de loi qui vient d’être adoptée par le Sénat en première lecture le 16 février 2012. L’aventure reste à suivre…

Discrimination et égalité de traitement

La règle « à travail égal, salaire égal » ne doit pas être confondue avec l’interdiction des discriminations qui sont nécessairement basées sur des critères illicites énumérés par la loi (voir l’article L. 1132-1 du Code du travail). Une discrimination est une inégalité de traitement fondée sur un critère prohibé par la loi, comme le sexe, l’origine, le handicap et dans un des domaines visés par la loi (emploi, logement, éducation…). Attention ! Toutes les inégalités de traitement ne sont pas des discriminations au sens juridique. Pour qu’il y ait discrimination, il faut que l’inégalité de traitement soit fondée sur un des critères établis par la loi (Code du travail, Code pénal…).

* INFOjuridiques n°16, décembre 1996 ; voir aussi Cass. soc., 18 mai 1999 ; Cass. soc., 16 décembre 2008, n°07-42107 ; Ass. Plén. 27 février 2009, n°08-40059. ** Chiffres du Service des droits des femmes et de l’égalité. Voir également l’observatoire des inégalités.