Maladies professionnelles Travail ascendant cancer

, par Christelle MARTIN

En Europe, les cancers professionnels sont la première cause de mortalité due au travail. Mais les reconnaissances en maladie professionnelle restent très difficiles. Explications.

On risque moins aujourd’hui qu’hier de mourir d’un cancer. Mais le nombre de personnes malades ne cesse, lui, de croître. En 2012, 355 350 nouveaux cas de cancers ont été enregistrés en France, soit une augmentation de 28% en dix ans, et de 109% en trente ans ! Combien de ces maladies trouvent leur origine dans le travail ? Pour Laurent Vogel, de l’Institut syndical européen, « les estimations que l’on a font état d’environ 5% de cancers ayant une origine professionnelle, mais ces chiffres sont en deçà de la réalité ».

En France, 10% des salariés (soit 2,2 millions de personnes) sont exposés quotidiennement à au moins un produit chimique cancérigène. Les plus vulnérables étant les ouvriers, les jeunes et les travailleurs précaires. L’enquête de terrain dont sont issues ces conclusions a été réalisée en 2009 et 2010 auprès de 48.000 salariés par un service du ministère de l’Emploi*. Parmi les informations délivrées par cette enquête figurent les secteurs d’activité les plus risqués pour les salariés. Celui de la maintenance arrive en tête, avec 43% des salariés exposés aux cancérigènes suivants : huiles minérales entières (qui servent notamment de lubrifiants), gaz d’échappement diesel et fibres céramiques réfractaires, utilisées en particulier pour remplacer l’amiante. Dans le BTP (bâtiment et travaux publics), 32% des travailleurs sont exposés –à la silice cristalline, aux poussières de bois, aux gaz d’échappement diesel ou encore au goudron.

« Toute exposition à un agent cancérigène peut jouer un rôle dans l’initiation ou le développement d’un cancer », précise Annie Thébaud-Mony, directrice du Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle (Giscop 93)**. L’origine des cancers humains est en effet imputable à un défaut de fonctionnement du cycle cellulaire. Et tout agent cancérigène est susceptible de perturber ce cycle du développement cellulaire. Sachant que la maladie peut se déclencher des années après l’exposition à la substance cancérigène. Ce qui rend l’établissement du lien entre cancer et travail très difficile. D’autant plus qu’il est très rare que les médecins demandent à un patient atteint d’un cancer de retracer son parcours professionnel. Et gare aux fumeurs. Si une personne atteinte de cancer fume ou a fumé, c’est quasi automatiquement cette cause qui sera retenue dans le déclenchement du cancer. « La pratique dominante c’est de considérer, à tort, qu’à partir du moment où il y a un risque personnel c’est celui-ci qui l’emporte sur le risque professionnel », souligne Annie Thébaud-Mony.

Derrière l’amiante, d’autres toxiques

Autre problème : l’absence de reconnaissance de la poly-exposition par les tableaux de la Sécurité sociale. Les effets synergiques des cancérigènes sont pourtant reconnus comme un facteur aggravant dans le développement de la maladie. « Le cancer professionnel type, pour les services de santé publique en général, c’est le mésothéliome, dû à l’amiante, explique Laurent Vogel. C’est monocausal. C’est simple. Dès que cela se complique au niveau des causes potentielles, c’est aussi compliqué pour la reconnaissance comme maladie professionnelle. » Si le nombre de cancers professionnels reconnus par la Sécurité sociale française a augmenté depuis les années 1990, cela concerne quasi exclusivement les cancers dus à l’amiante. « Nous espérions que l’amiante serait un précédent. C’est malheureusement devenu l’arbre qui cache la forêt, regrette Annie Thébaud-Mony. Le système de reconnaissance et d’indemnisation a isolé les malades de l’amiante –qui reste un risque redoutable– des autres personnes atteintes de cancer. »

En ayant été l’objet de dispositifs spécifiques, l’amiante, principal cancérigène professionnel actuellement reconnu, a éclipsé les au-tres toxiques du monde du travail.

Dernier facteur d’invisibilité pour les cancers professionnels : le phénomène, massif, de sous-déclaration. Selon certains chercheurs du Giscop, au moins un cas sur deux ne serait pas reconnu. Ce qui prive de leurs droits les victimes ou leurs ayants droit et pèse sur la branche maladie de la Sécurité sociale, soulageant la branche AT-MP (accidents du travail et maladies professionnelles), laquelle est financée par les employeurs.

Nolwenn Weiler

* Enquête « Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels » (Sumer), publiée par la DARES : Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques.

**Le Giscop a été créé en 2006. Il s’inscrit en continuité du programme de recherche mené depuis janvier 2001 à l’initiative de chercheurs, médecins de santé publique et de santé au travail, cliniciens, représentants de comités d’hygiène et de sécurité. Les institutions membres sont la Direction des relations du travail du ministère de l’Emploi et de la Solidarité, l’université Paris 13, le Centre d’études de l’emploi, le conseil général de la Seine-Saint-Denis, le comité départemental de la Ligue contre le cancer, l’Association de prévention et médecine du travail (AMET) et l’Association de médecine du travail du Nord-Est parisien. L’objectif du Giscop 93 est de mettre en œuvre un projet pluridisciplinaire de recherche en santé publique portant sur la connaissance, la reconnaissance et la prévention des cancers d’origine professionnelle. Pour en savoir plus : http://www.univ-paris13.fr/giscop/

Article paru dans FO Hebdo 3092