Reclassement du salarié inapte : la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence

, par Christelle MARTIN

Par deux arrêts rendus le 23 novembre 2016, à la publicité maximale (PBRI), la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence sur la question de l’obligation de reclassement d’un salarié inapte qui pèse sur l’employeur (Cass. soc., 23-11-16, n°14-26398 et n°15-18092).

Traditionnellement, la Cour de cassation considère que l’employeur ne doit pas tenir compte, pour le périmètre des recherches de reclassement d’un salarié déclaré inapte à son poste par le médecin du travail, de la position exprimée par le salarié.

Jusqu’aux arrêts du 23 novembre 2016, le principe était que le refus d’un poste de reclassement, refus présumé ou exprimé, ne pouvait dispenser l’employeur de faire des recherches, ni l’autoriser à les limiter à un secteur géographique ou fonctionnel exigé ou souhaité par l’intéressé (Cass. soc., 6-5-15, n°13-27349).

Désormais, le principe est totalement contraire.

Pour apprécier le respect de l’obligation de reclassement par l’employeur, le juge peut tenir compte de la position du salarié déclaré inapte.

Dans sa note explicative, la Cour de cassation prend soin de préciser que l’employeur reste libre de prendre en compte ou non la position du salarié.

L’employeur reste tenu de justifier son impossibilité de reclassement, au besoin par des mesures telles que mutations, transformations de poste ou aménagements de temps de travail, tant au sein de l’entreprise, que le cas échéant, au sein des entreprises dont l’organisation, les activités ou le lieu d’exploitation permettent d’y effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.

Dans sa note explicative, la Cour de cassation note que les arrêts du 23 novembre 2016 sont intervenus dans le contexte d’un groupe de sociétés à dimension internationale, mais le principe, affirmé de façon générale, a vocation à s’appliquer quelles que soient la taille de l’entreprise et son appartenance ou non à un groupe.

L’arrêt ne le dit pas expressément mais il ne semble pas que la position prise par le salarié doive être explicite.

Si, en matière de licenciement économique, la Cour de cassation exige que les restrictions géographiques soient explicitement posées par le salarié (Cass. soc., 13-11-08, n°06-46227), en matière d’inaptitude, il semble que la position prise par le salarié puisse être présumée.

En effet, dans l’arrêt n°15-18092, la volonté de ne pas être reclassé à l’étranger semble être déduite du défaut de réponse à des offres de reclassement présentées en France.

En pratique, l’employeur aura tout intérêt à demander au salarié de se prononcer explicitement, et non pas à présumer de son refus.

En ce qui concerne la possibilité de prendre en compte des restrictions fonctionnelles (temps de travail, catégorie d’emploi…), la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur ce point dans les deux affaires ici commentées.

Au regard du principe rédigé en des termes généraux, on pourrait penser que l’employeur puisse limiter ses recherches en fonction des restrictions fonctionnelles formulées par le salarié.

La note explicative pourrait le laisser sous-entendre. Affaire à suivre !

Dans l’affaire n°14-26398, la cour d’appel, qui a constaté que le salarié avait refusé des postes proposés en France en raison de leur éloignement de son domicile et n’avait pas eu la volonté d’être reclassé à l’étranger, a souverainement retenu que l’employeur avait procédé à une recherche sérieuse de reclassement.

Dans l’affaire n°15-18092, la cour d’appel, qui a constaté que le salarié n’avait pas accepté des postes à Strasbourg et fait ressortir qu’il n’avait pas eu la volonté d’être reclassé au niveau du groupe, a souverainement retenu que l’employeur avait procédé à une recherche sérieuse de reclassement.

La Cour de cassation affirme ainsi très clairement que l’appréciation du caractère sérieux de la recherche de reclassement relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Si la règle est conforme à une jurisprudence constante, combinée avec le principe énoncé ci-dessus, la portée en est quelque peu modifiée, souligne les Hauts magistrats dans leur note explicative.

Il s’agit pour les juges du fond d’évaluer les efforts de reclassement de l’employeur, non seulement au regard des propositions sérieuses faites par celui-ci dans les conditions exigées par la loi mais aussi au regard du comportement ou de la position du salarié.

Les deux décisions de la Cour de cassation se rapprochent de la solution retenue par le Conseil d’Etat à propos du reclassement d’un représentant du personnel inapte.

Dans sa décision du 30 mai 2016, le Conseil d’Etat avait jugé que le sérieux de la recherche de reclassement s’appréciait en tenant compte des motifs de refus du salarié (CE, 30-5-16, n°387338).