Chronique juridique Le droit de retrait ?

, par Christelle MARTIN

Un salarié peut refuser de poursuivre son travail s’il craint « un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé », une notion laissée floue par la loi et qui a conduit les tribunaux à tenter de mieux la définir. D’autant que s’il est sanctionné par sa direction, c’est à lui de saisir la justice et de prouver que c’est un « motif raisonnable » qui est à l’origine de sa décision. Autre condition : il faut qu’auparavant un droit d’alerte ait été mis en œuvre. Le sujet risque d’être de plus en plus d’actualité, les impératifs de sécurité étant soumis à ceux de la rentabilité à tout prix.

Qu’est-ce que le droit de retrait ?

} N’importe quel salarié a le droit de se retirer d’une situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé (art. L.4131-1 et suiv. du Code du travail) ou lorsqu’il constate une défectuosité dans les systèmes de protection. La seule formalité imposée au salarié est de prévenir l’employeur. L’information peut se faire par tous moyens, le règlement intérieur ne peut imposer un mode particulier d’information. La loi ne définit pas ce qu’il faut entendre par le terme « danger grave et imminent ». Un danger suppose une atteinte à l’intégrité physique ou morale, qui peut résulter de l’utilisation d’une machine, d’une ambiance de travail… Le danger peut trouver sa cause dans la personne, il n’est pas nécessaire que le motif du danger soit extérieur à elle. Le salarié qui a un état de santé incompatible avec son poste de travail peut valablement se retirer. Cela peut être le cas lorsqu’il est affecté à un poste non conforme aux recommandations du médecin du travail. Le danger ne peut pas être simplement léger. Des courants d’air ne constituent pas un danger suffisamment grave pour la santé et ne justifient donc pas l’exercice du droit de retrait. Par danger imminent, il semble qu’il faille entendre un danger susceptible de se réaliser brusquement dans un délai raisonnable (Cass. soc., 23 avril 2003, n°01-44.806). Averti, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour faire cesser le danger, et tant que ce danger n’a pas cessé, il ne peut obliger le salarié, qui a exercé son droit de retrait, à reprendre son travail. Il existe une exception au droit de retrait : l’exercice du droit de retrait ne doit pas créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent (article L.4132-1 du Code du travail). Parallèlement à l’information de l’employeur, le salarié peut aussi – mais ce n’est pas une condition nécessaire à l’exercice du droit de retrait – prévenir le CHS-CT, s’il en existe un dans l’entreprise, cette instance possédant un droit d’alerte avec des prérogatives plus importantes (droit d’enquête, réu-nion en urgence du CHS-CT sous vingt-quatre heures en cas de divergence sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser…). Si le risque signalé s’est matérialisé et a causé un accident du travail ou une maladie professionnelle, l’employeur est considéré comme ayant commis une faute inexcusable.

Droit de retrait et droit d’alerte : quelles différences ?

Si le droit de retrait est indissociable du droit d’alerte, l’inverse n’est pas vrai. Le salarié peut se retirer d’une situation de travail dangereuse si, et seulement si, il a alerté immédiatement son employeur de cette situation. L’exercice du droit de retrait suppose donc que le droit d’alerte ait été mis en place. En revanche, le droit d’alerte n’implique pas, dans tous les cas, la mise en œuvre du droit de retrait. Si le droit d’alerte est un devoir (le salarié, qui ne signale pas une situation de danger, peut être licencié pour faute grave si cette absence de signalement a mis un collègue dans une situation d’insécurité : Cass. soc. 21 janvier 2009, n°07-41.935), le droit de retrait n’est qu’une faculté pour le salarié : un employeur ne peut pas reprocher à un salarié de ne pas s’être retiré d’une situation dangereuse.

Quelles sont les conséquences pour le salarié de l’utilisation de son droit de retrait ?

Un salarié qui s’est retiré d’une situation dont il avait un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ne peut encourir aucune sanction (y compris le licenciement) ni retenue de salaire (art. L.4131-3 du Code du travail). Le licenciement d’un salarié qui a exercé régulièrement son droit de retrait est nul (Cass. soc. 28 janvier 2009, n°07-44.556). Les juges du fond apprécient souverainement et au cas par cas la notion de danger grave et imminent. Cette notion s’apprécie de manière subjective en tenant compte des connaissances techniques et scientifiques du salarié. Il n’est pas nécessaire que le danger existe réellement, il faut juste qu’il soit possible. C’est au moment où s’est exercé le droit de retrait que l’on regarde si le salarié pouvait penser qu’il existait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Il importe peu qu’un rapport d’expert ait pu exclure par la suite l’existence d’un danger réel. Si le droit de retrait est illégitime, l’employeur peut opérer une retenue sur salaire mais également prononcer une sanction disciplinaire pouvant, dans certaines circonstances, aller jusqu’au licenciement. Cette retenue sur salaire doit être proportionnelle au temps d’absence du salarié, sous peine de constituer une sanction pécuniaire interdite. Pour effectuer cette retenue, l’employeur n’est pas tenu de saisir préalablement le juge sur l’appréciation du bien-fondé de l’exercice du droit de retrait et il importe peu que le salarié soit resté à sa disposition (Cass. crim., 25 novembre 2008, n°07-87650). C’est au salarié, jugeant son droit de retrait légitime, de saisir les magistrats pour contester la retenue opérée et éventuellement la sanction prononcée.

CHS-CT

Devant veiller à la protection de la santé et de la sécurité des salariés, ainsi qu’à l’amélioration des conditions de travail, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés, comprend notamment le chef d’établissement et des délégués du personnel (article L. 4612-1, Code du travail).

Droit d’alerte

Permet aux membres du CHS-CT d’informer l’employeur sur l’imminence d’un danger menaçant gravement la sécurité des salariés (article L. 231-9, Code du travail).