Changement temporaire du lieu de travail : est-ce une modification du contrat ?

, par Christelle MARTIN

Les contentieux autour de la mobilité vont sans doute prendre une importance considérable. En matière de changement d’affectation temporaire d’un salarié et quelle que soit la nature de ses fonctions, la Cour de cassation le déclare possible seulement si trois conditions sont réunies : qu’il soit motivé par l’intérêt de l’entreprise, justifié par des circonstances exceptionnelles, et que la personne concernée soit informée préalablement, dans un délai raisonnable, du caractère temporaire du changement d’affectation et de sa durée prévisible.

Le lieu de travail n’est pas en soi un élément du contrat de travail. Toutefois, si le contrat mentionne clairement que le travail s’exécutera exclusivement sur un lieu déterminé, toute modification de ce lieu est une modification du contrat de travail et nécessite l’accord du salarié (Cass. soc., 3 juin 2003, n°01-43.573).

Un employeur peut muter un salarié sans son accord dès lors que cette mutation a lieu au sein d’un même secteur géographique. Il n’y a modification du contrat de travail que dans le cas où le nouveau lieu de travail se situe dans un secteur géographique différent de celui où le salarié travaillait précédemment (Cass. soc., 4 mai 1999, n°97-40.576).

Cette notion de secteur géographique n’est pas précisément définie et ne correspond pas au découpage administratif (commune, département ou Région). Elle est appréciée objectivement par les juges, c’est-à-dire de la même façon pour tous les salariés, sans tenir compte de leur situation personnelle. Pour définir le secteur géographique, les juges du fond tiennent compte de la distance entre les deux sites et de leur desserte par les transports en commun (Cass. soc., 25 janvier 2006, n°04-41.763).

Si un changement définitif ou de longue durée du lieu de travail constitue une modification du contrat lorsqu’il se situe en dehors du secteur géographique, une question demeure lorsque ce changement n’est que temporaire : un changement temporaire du lieu de travail ou un déplacement occasionnel en dehors du secteur géographique nécessite-t-il systématiquement l’accord du salarié ?

Dans une décision du 22 janvier 2003, la Cour de cassation avait jugé qu’un déplacement occasionnel, imposé à un salarié en dehors du secteur géographique où il travaille habituellement, ne constitue pas une modification de son contrat de travail, dès lors que la mission est justifiée par l’intérêt de l’entreprise et que la spécificité des fonctions exercées par le salarié implique de sa part une certaine mobilité géographique (Cass. soc., 22 janvier 2003, n°00-43.826). Par la suite, la Haute juridiction avait indiqué que le salarié devait être informé de cette affectation occasionnelle dans un délai raisonnable (Cass. soc., 15 mars 2006, n°04-47.368).

Le 3 février dernier, la Cour de cassation est revenue sur ces conditions, ne faisant plus référence en particulier à la spécificité des fonctions exercées par le salarié. Dorénavant la nature des fonctions du salarié importe peu, l’affectation occasionnelle d’un salarié en dehors du secteur géographique où il travaille habituellement ou des limites prévues par une clause contractuelle de mobilité géographique ne constitue pas une modification du contrat de travail dès lors que trois conditions cumulatives sont remplies :

– l’affectation doit être motivée par l’intérêt de l’entreprise ;

– elle doit être justifiée par des circonstances exceptionnelles ;

– le salarié doit avoir été informé préalablement, dans un délai raisonnable, du caractère temporaire de l’affectation et de sa durée prévisible (Cass. soc., 3 février 2010, n°08-41.412, PBR).

Si l’une de ces trois conditions fait défaut, il s’agit d’une modification du contrat de travail nécessitant l’accord du salarié. À l’opposé, si ces trois conditions sont remplies, le salarié ne peut, en principe, refuser l’affectation occasionnelle sous peine de licenciement.

Dans sa décision du 22 janvier 2003, la Cour de cassation visait une catégorie spécifique de salariés, ceux qui sont occupés à des postes par essence mobiles ou qui exercent une fonction impliquant une certaine mobilité. Les salariés sédentaires, envoyés en mission ponctuelle en dehors de leur secteur géographique, n’étaient pas soumis à cette jurisprudence et leur accord était toujours exigé. Dans l’arrêt du 3 février 2010, la Haute juridiction ne fait plus référence à une catégorie spécifique de salariés ; désormais, tous les salariés sont concernés par cette nouvelle jurisprudence.

En l’espèce, il s’agissait d’une caissière de supermarché travaillant habituellement à Chatou (78). À la suite de travaux dans ce magasin, son employeur l’informait le 29 août 2003 qu’elle serait affectée, à compter du 1er septembre 2003, au même poste dans un autre magasin de l’enseigne situé à Saint-Denis (93) et qu’elle occuperait de nouveau son poste de travail à Chatou dès la fin des travaux. La salariée avait refusé cette affectation temporaire, considérant qu’une telle affectation constituait une modification de son contrat de travail. Elle fut licenciée pour faute grave.

Les parties ne contestaient pas que l’affectation temporaire intervenait dans un autre secteur géographique, le débat portait sur la manière dont l’employeur avait informé la salariée de cette nouvelle affectation occasionnelle. La cour de cassation, confirmant l’arrêt de la Cour d’appel, a jugé ce licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que la notification du changement d’affectation avait été brutale et qu’elle ne comportait aucune indication quant à la durée de cette affectation.